La collection qu’il nous propose ici est faite de taches rouges, bleues et vertes qui se transforment en profils monolithiques de fort caractère ainsi qu’en portraits aux faces typées aux corps géométriques dont les yeux paraissent apposés d’un coup de pinceau négligent.
L’univers de ce peintre né à Tbilissi est une chaîne bouclée d’associations dont les maillons font partie d’une seule réminiscence. Il conçoit les scènes bibliques et les séries de portraits sous un angle particulier qui lui est très personnel. S’il les nomme « Deux rois » ou « Un grand oiseau rouge », ou encore « Les maisons » et « Les cheminots », il peut également les laisser tout simplement sans titre.
La démonstration de la culture plastique de Kako se base sur le réalisme émotionnel géorgien dont la vision subjective qu’il donne produit un style personnel et superbe pénétré d’un primitivisme fortement littéraire mais aussi frais et parcemé d’humour.
L’illusion ici est sans limites, de sorte qu’il apparaît difficile d’analyser ou de résumer les tableaux dont seule la description approximative demeure possible.
Ses oeuvres nous proposent un espace à deux dimensions dans lequel l’apparence statique du sujet s’oppose aux sensations des couleurs qui sont prêtes, à n’importe quel moment, à quitter la surface plane pour aller imploser en profondeur.
La réalité de ses tableaux s’identifie avec la couleur et suggère ainsi une forte sensation de rapport avec les origines de la peinture elle-même. Par la place qu’il attribue à la couleur, il crée l’image même de l’existence. Tout le reste est une illusion optique. En observant le fond neutre et serein des tableaux, on découvre qu’il est bien défini, qu’il a une forme certaine, mais surtout qu’il pénètre les éléments figuratifs de ses compositions. Des couches superposées définissent la texture de la couleur comme un espace topologique qui nous mène vers nos racines primitives et leurs archétypes.
Plus concrètement, il est difficile de dire si la couleur est posée sur une profondeur fictive ou sur la surface réelle du tableau. Kako crée un espace plastique aux confins de l’interne et de l’externe. Avec sa manière complexe de peindre, la couleur tend vers des formes décoratives et carrées.Mais, pour lui, la libre existence de la couleur est plus importante que l’enfermement de celle-ci dans des formes mêmes minimalistes. C’est dans ces affrontements que réside le charme de son oeuvre.
Les silhouettes, souvent de profil, se concentrent sur leur propre sensibilité et, avec leur tonalité générale et leur couleur dominante elles créent une barrière de protection, semblant ne voulant rien admettre à l’intérieur de l’oeuvre. Cependant, avec leurs yeux placés à des endroits anatomiquement inappropriés et leur regard posé en dehors du cadre, ces personnages établissent un contact fort avec l’univers extérieur. Cette logique plastique contradictoire est géniale.
Ainsi, les oeuvres de l’artiste nous introduisent dans un univers à la fois serein et empli d’un raffinement un peu ironique. Les personnages, habilement peints, délivent à la fois amour et drame. Ils font appel aux sensations de l’enfance, celles qui ne s’estompent jamais et qui donnent envie de revisiter ces tableaux pour en découvrir à chaque fois de nouveaux détails.
Kako n’a pas peur d’être primitif. La simplicité plastique de ses personnages prédispose positivement et leur vision nous fait ressentir un immense plaisir.
Ses grandes connaissances, qu’il tient de sa formation d’historien d’art, sont nourries des traditions géorgiennes en arts plastiques, en orfèvrerie, en émaillerie ainsi qu’en art céramique. C’est ainsi que naît l’illusion de la dominence du peintre qui peut délivrer ses messages à travers les différents supports que sont le papier, la tapisserie,la sculpture ou tout autre support de son choix.
Enfin, chacune des oeuvres porte, tel un bijou, la signature de l’auteur en lettres géorgiennes, comme un message étymologique de son système pictural étranger, comme une information de la mémoire historique qui, d’un point de vue culturel différent, se conçoit comme un ornement et qui, avec toutes les interprétations possibles qu’elle puisse suggèrer, tente le spectateur en l’invitant à fantasmer sur l’univers culturel encore partiellement inconnu d’un petit pays du bord de la Mer Noire.